L’homme le plus puissant du Magimperium se tenait, seul, dans l’observatoire panoramique au sommet de la plus haute tour de la Schola. Le Haut-Magister n’avait pas bougé depuis la deuxième heure et son ultime discours retransmis grâce aux nuntii déjà agonisants. Il portait sa toge d’apparat aux dentelles d’or, costume aussi rutilant que les rubis incrustés dans les pavés noirs du sol qui disparaissaient sous sa traine interminable. La couronne d’or et de grenat des Empereurs gisait à ses pieds, trop lourde, devenue obsolète. Tout comme lui… redevenu un simple mortel. En contrebas, ses ultimes sujets fuyaient entre les tours multicolores reliées par de larges passerelles suspendues qui défiaient la gravité. Il restait seul… En vérifiant, il ressentit la présence de quatre individus à l’étage inférieur, des Ministri trop zélés qui n’osaient pas abandonner leur poste. Sans même se retourner, il ouvrit la trappe qui fermait l’accès à son antre d’une pichenette de ce qui lui restait de magie et, d’une voix impérieuse, il ordonna :

  • Je vous libère, partez !

Il parlait d’une voix forte et contrôlée. Il l’abaissait toujours d’un timbre plus grave qu’au naturel pour augmenter sa prestance, une technique plutôt efficace dans de nombreuses situations. Il aimait aussi jouer sur le vibrato, la texture… enfin, quand il pouvait encore se permettre de gâcher son don pour de telles futilités. Par sa main gantée de soie rouge posée sur la surface transparente invisible du mur, il maintenait l’équilibre en usant de ses ultimes forces. Il tenterait de tenir quelques heures supplémentaires, peu importe ce que cela lui coûterait. Il se sentait de plus en plus faible…

Mais il leur devait !

Il oublia les humains et s’immergea dans les pierres et les ors de la Schola. En communion avec l’édifice légendaire, il reprit conscience des défis relevés lors de son édification il y a de cela quinze siècles, une merveille mêlant magie et architecture. Cette pièce flirtait avec les nuages grâce à une technique perfectionnée depuis des siècles qui permettait d’observer le paysage derrière de l’air solidifié plus fin et translucide que n’importe quel verre. Au-dessus de lui, sans reposer sur rien d’autre, le plafond flottait à huit pieds, et un pignon s’élevait sur encore plus de soixante pieds, surmonté de l’étendard du Magimperium marqué du sigillum, représentant le symbole de l’infini écrit en lettres de feu visibles à des lieues à la ronde. Autant de miracles accomplis par de grands Magistri qui disparaitraient dans quelques heures. Quel gâchis ! L’homme qui était le plus puissant !! Voilà comme il convenait de l’appeler désormais ! Pourquoi maintenant après vingt-deux années de règne ? Qu’avait-il fait pour mériter une telle punition, lui, le cinquante-cinquième Haut-Magister ? Ne le disait-on pas le plus grand Haut-Magister de toute l’histoire du Magimperium ? N’avait-il pas réussi à mettre un terme à ce conflit centenaire avec Karjack et ramené ces païens dans Sa sainte lumière ? Pourquoi décidait-Elle de soudain disparaître ? Était-ce une coïncidence ? D’un mouvement de la tête, il envoya voler sa capuche et libéra ses longs cheveux d’ébènes de sa broche de rubis qui ruisselèrent jusqu’en bas de son dos. Modèle de beauté de Memoria au corps d’athlète, il arborait des traits fins et un teint bronzé, il ressentait toujours sa jeunesse insolente, alimentée par le peu de magie qu’il lui restait. Ses yeux brillaient-ils de violet, parcourus des volutes rouges de son pouvoir, ou étaient-ils redevenus de ce bleu profond typique des Moschella ? Peu importe. Il ne vieillirait pas comme Curzo, il accueillerait la fin avec plaisir pour ne plus faire qu’un avec Elle, enfin libéré de sa charge divine.