Un jour, maman m’a dit :
- Tu sais, j’avais reçu il y a bien longtemps un message d’un homme qui vivait aux Etats-Unis et se disait être mon demi-frère.
- Euh… Peut-être.
- À l’époque j’avais cru à une arnaque, j’avais laissé tomber. Mais « il » a repris contact… on a discuté, et peut-être que son histoire est vraie !
Cela ne m’étonne pas. Personne ne le connaît, mon grand-père. Un sujet sensible, que la famille évite. Un aviateur, un coureur de jupon, un moins que rien, un menteur. Ma grand-mère ne parle jamais de cet amour passionné qui l’a menée à un mariage scandaleux dans l’euphorie de la fin de la seconde guerre mondiale… et à un divorce tout aussi scandaleux quelques années plus tard. Maman non plus ne parle pas de son père. D’ailleurs elle aurait du mal, ne l’ayant vu que deux fois de manière éphémère. Mais elle n’a jamais digéré cet abandon et ne parle qu’avec réticence de son enfance, lorsqu’elle appelait « papa » tous les hommes qui venaient rendre visite à sa mère. Ça les faisait rire, elle pas.
- Mon demi-frère… Il m’a envoyé des photos de son père… C’est le même.
Maman est choquée. Perturbée. Elle ne sait pas comment réagir à cette situation. D’autant que ce père est mort : trop tard pour lui demander. Il ne reste plus que des secrets et des mensonges.
- Tu trouves qu’il me ressemble ? demande maman.
Elle me montre une photo de lui, en chemise rose, souriant. Il y a un air de famille, mais je ne suis pas physionomiste. Je ne sais pas quoi dire. Je marmonne un « oui peut-être » sans conviction.
Bien avant cette nouvelle, mon mari et moi avions décidé de visiter le nord-est des États-Unis. D’après les cartes, Chicago n’est qu’à huit heures de route de là où il habite. Ce qui arrive à maman nous émeut, nous intrigue. Maman devait garder notre fils, et nous partions en amoureux. Seulement huit heures… C’est décidé, maman viendra avec nous, et le fiston également. Les billets d’avion sont pris !
Maman ne maîtrise pas l’anglais et c’est moi qui discute sur internet avec lui. Même s’il a vécu enfant en France, il ne parle plus le français. Nous tentons de reformer le puzzle de sa vie. Deux foyers, à quelques kilomètres l’un de l’autre qui pis est ! Deux femmes trompées. Deux enfants abandonnés.
Le grand jour approche. Les numéros de téléphone sont échangés et rendez-vous est donné pour le dimanche midi, chez lui et sa femme. Départ le samedi midi, et arrivée à Chicago dans l’après-midi. Malgré le décalage horaire, pas de repos. La moitié du chemin est déjà parcourue le samedi soir. Une courte nuit dans un motel, sur le bord de la route. Puis c’est la dernière ligne droite à travers des champs de fleurs mauves.
Mon mari conduit. Mon fils joue sur sa tablette. Personne ne parle dans la voiture. Que dire ? Maman regarde le paysage. Je sais qu’elle est émue, mais elle refuse de se laisser submerger par ses sentiments. Dans quelques minutes, elle va rencontrer son demi-frère pour la première fois à presque 70 ans.
Enfin, nous arrivons dans la ville. Puis dans le quartier. Puis dans le lotissement. Je reconnais la maison. Sur le perron, une silhouette.
Il est là.
When I close my eyes, I imagine…
It’s Sunday at his house. He’s worried. A lot could go wrong. Our plane could be canceled. Worse, we could have a crash! Our car could be stolen, involved in an accident… Maybe I’m lying and we’ll never come. After all, he has no proof. Just my words on a chat application.
And a text this morning that woke him up. Already been on the road for three hours? It was foolish to drive so late after a long flight! He’s even more worried. Accidents can so easily happen when you’re tired…
- It will be fine, says her wife.
She’s on his side, as always, cleaning the house as she speaks. They met late but they love each other so much. It’s been fifteen years now.
Her daughter is not at home today, it’s only her husband and her. She will introduce her later but for the first day, she wants to fully support him. He had a difficult life. He served in the military, was divorced twice, has made a lot of mistakes… Having a supporting family is important for him as he tries to be a better man. Having a sister is a gift from God.
She’s not cooking. She didn’t know what to do, so she convinced him to go out and have brunch, in a place they love, not far away from their home. A public place would be a safer place for all. After all, they’ve never met. They don’t know each other. What could they discuss? They don’t even speak the same language…
If everything goes well, she will prepare a famous French meal for tonight, the “Boeuf Bourguignon”. She knows it’s a difficult exercise. Her sister in law probably is probably a better chef than she is. But, at least, she can try.
- Do you think they will find our place? he asks.
- Of course, they have a GPS.
- Right…
He’s looking outside, through the window. His dog is by his side, looking in the same direction. A car is coming… But no, it’s only the neighbor’s daughter, who’s driving back from the church. He didn’t ask which model of rental car they have.
He waits.
The neighborhood is quiet. No traffic. A dog is howling in the backyard. His dog is leaving, going to have a look out the other window. He looks at his little puppy, she’s not moving very well now. Age is cruel.
He looks back in the street. A black car is now parking in the path, just in front of the house. He doesn’t know the driver, but he has some photos. It’s us. We’re here. Finally.
My mum is on the back seat. The windows are blacked out. He can’t see her.
Then the door opens.
Here she is.