Misia a toujours cru que peinture et écriture sont de source semblable et fort proches l’une de l’autre.

Comme le texte qui suit se suffit à lui-même et que, léger, oh si léger, il ne faudrait pas l’appesantir et lui donner trop d’amarres au risque de le voir s’étioler au sol, elle vous suggère juste ceci en préambule :

« Cheval barbare,
Cheval barbare,
Envoyé paître au loin sous le mont Yanzhi.
Il galope sur le sable, sur la neige il hennit,
Regarde à l’est, regarde à l’ouest, il est perdu,
Perdu,
Perdu,
Herbes frontalières sans limite au crépuscule »

Wei Yingwu dans l’admirable anthologie de la poésie chinoise que Misia se plaît à picorer maintes fois.

Un peintre seul dans son atelier.

« Je ferais mieux de mettre tout cela dans la rivière. »

Un petit être déboulant.

De mauve vêtu et bonnet rouge.

Sur son derrière il s’assit.

Sur son derrière il pivota.

Regarda à l’Est.

Les gravures de l’Est.

Sur son derrière il pivota.

Regarda au Nord.

Les lourdes peintures à l’huile du Nord.

Sur son derrière il pivota.

Regarda à l’Ouest, puis au Sud.

Les marines de l’Ouest, les aquarelles du Sud.

Dit « mmmm » en se relevant.

Se mit debout :

« J’ai appris beaucoup de choses aujourd’hui. Merci monsieur le peintre. »

Puis déboula vers la sortie, le petit être rondouillard.

Le peintre alors se dit :

« Je ferais bien de ne pas mettre tout cela dans la rivière. Demain je reprendrai le tablier du peintre, le pinceau du peintre, l’amour du peintre. » 

Pour se donner des idées,

Pour se donner de l’entrain, du courage,

Il lut :

Julien : « En peignant je participerai par ce seul trait, à la promotion/transformation du monde. Rôle actif du peintre dans la continuité de la respiration du monde ? Ou bien son action ne se limite-t-elle qu’au peintre et à sa toile ? Peut-on se demander si en fait le but du peintre est de faire un tableau ou bien son action est-elle seulement dans l’acte de peindre, le résultat étant en fait assez anecdotique ? « 

Et puis Albahari : « Tout ce que je veux, c’est ne pas expliquer ma peinture avec des mots, car ce n’est pas avec des mots que je l’ai conçue. Une peinture naît en tant que telle par l’intermédiaire des peintures comme un récit, je crois, naît en tant que récit au moyen des mots, non par des mots eux-mêmes, mais bien plutôt dans un espace entre les mots, quelque part entre le silence et la parole. »

Et encore Breytenbach : « La peinture est une succession de taches qui sont en relation, qui forment des liens et qui finissent par former l’objet, la part sur laquelle l’œil s’arrêtera sans obstacle… Le principal sujet est la surface qui a sa couleur et ses lois sur et au-dessus des objets. »

Et il frissonna parce qu’il avait mal.

Il frissonna parce qu’il était embrouillé.

Et que lui il voulait seulement peinturlurer et pas la disséquer.

Il regarda son tablier, son pinceau, sa toile blanche et se sentit tout con.

Il était, pinceau ballant, tout découragé.

Il manquait quelque chose.

Il manquait l’amour.

De l’autre côté de la cour

La petite cour à l’arrière des immeubles gris

La petite cour des poubelles

Un écrivain seul dans son bureau.

« Je ferais mieux de mettre tout cela dans la rivière. »

Un petit être déboulant.

De rouge vêtu et bonnet mauve.

Sur son derrière il s’assit.

Sur son derrière il pivota.

Regarda à l’Est.

Les sombres romans de l’Est.

Sur son derrière il pivota.

Regarda au Nord.

Les épopées du Nord.

Sur son derrière il pivota.

Regarda à l’Ouest, puis au Sud.

Les poèmes de l’Ouest, les romances du Sud.

Dit « mmmm » en se relevant.

Se mit debout :

« J’ai appris beaucoup de choses aujourd’hui. Merci monsieur l’écrivain. »

Puis déboula vers la sortie, le petit être rondouillard.

L’écrivain alors se dit :

« Je ferais bien de ne pas mettre tout cela dans la rivière. Demain je reprendrai le crayon de l’écrivain, la page blanche de l’écrivain, l’amour de l’écrivain. »

Pour se donner des idées,

Pour se donner de l’entrain, du courage,

Il lut

Flaubert : « La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

Et puis Bounine : « Et puis vraiment il ignorait l’art d’écrire : n’était-il pas incapable même de poursuivre longuement une pensée dans son développement logique ? La plume à la main, il se sentait au supplice, comme un jeune chien mis sur de la paille. »

Et encore Davies : « Les mots ne peuvent traduire un sentiment dans toute sa plénitude ; tout au plus peuvent-ils tenter d’en éveiller l’écho chez le lecteur, et bien entendu chaque lecteur le filtrera à travers le prisme de son vécu émotionnel et intellectuel, si bien que chacun aura sa propre interprétation de l’essence de Joyce et de ses imitateurs. L’écho déforme la voix.

Et enfin Handke : « J’écris. J’écris que j’écris. Mentalement je me vois écrire que j’écris et je peux aussi me voir qui écris. Et je me vois me rappelant que je me vois écrire et je me rappelle me voyant me rappeler que j’écrivais et j’écris en me voyant écrire que je me rappelle m’être vu écrire que je me voyais écrire que je me rappelais m’être vu écrire que j’écrivais et que j’écrivais que j’écris que j’écrivais. » 

Et il frissonna parce qu’il avait mal.

Il frissonna parce qu’il était paumé

Qu’il comprenait que dalle

Et que lui il voulait seulement raconter des histoires et pas les disséquer.

Il regarda son crayon, sa feuille blanche et se sentit tout con.

Il était, crayon ballant, tout découragé.

Il manquait quelque chose.

Il manquait l’amour.

De l’autre côté de la cour,

Il entendit comme une plainte.

Il traversa la cour et frappa à la porte.

La porte de l’atelier du peintre.

Et la porte s’ouvrit bien sûr.

Et la porte se referma, pour que la bonne chaleur restât à l’intérieur.

À l’intérieur du cœur de deux hommes

Qui trinquèrent à leur rencontre

Sans dire un mot

Sans tracer un trait

Dans le silence

Et…

rien

Un peu plus tard

Sur la page blanche

Je l’aime – vodka – Je suis heureux

Sur la toile blanche

Un mur ensoleillé – un verre rempli – un profil adoré

« Hi hi hi »

Dit le petit être rondouillard mi-rouge, mi-mauve.

Il s’en alla vers l’Est, vers le Nord, vers l’Ouest et le Sud.

Finalement il piqua au centre

Son long nez comme bec de cigogne,

Y enroula son corps replet

Et s’endormit au mât de tous les possibles.

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