Lorsque Misia avait lu le roman de Charlotte, Libertas, elle avait vraiment aimé le passage où un de ses héros, Benjamin, jette sa came dans la nature. Déjà ça c’était bien. Mais ensuite le fait de penser aux oiseaux qui allaient se shooter, ça c’était encore mieux.

Elle avait pensé écrire un texte de plus d’envergure. De plus de littérature. Où les oiseaux picoreurs de manne menant aux paradis artificiels attrapent des plumes vertes, l’œil exorbité, la crête hérissée. Ils auraient eu des vertiges, se seraient cassé la figure en tanguant comme des ivrognes. Et puis ils auraient peut-être eu des bébés bizarres et tout et tout. Et Misia n’a pas aimé. C’était trop « réaliste », trop proche d’une vie que d’aucuns sans plume subissent chaque jour. Perso, Misia pense qu’on ne peut pas rire avec tout, que peut-être il y a des limites à ne pas franchir. Même si ce sont des piafs. Elle a reculé.

Mais elle a fait tout de même le rapprochement avec cette phrase extraite du Silence dans l’art de Vincent Debiais (un peu détournée la phrase et saucissonnée, elle l’accorde !) : « … le silence qui suit un dialogue … est souvent annoncé par l’acteur dans le but de produire un effet dramatique qui se reflète dans la mise en scène… » Suivez le regard de Misia : dialogue des piafs, le chat-silence, le drame.

Voici donc, en miroir des deux personnages de Libertas , deux volatiles inconscients du danger, s’ébattant justement à l’endroit que viennent de quitter Ben et Paul. La fin est un peu triste pour les volatiles, mais planante pour le nouveau personnage. Toujours dans ces demi-teintes qu’affectionnent Charlotte, et Misia aussi. Le ciel est gris.

(Dans Libertas 1 de Charlotte Benoit à la page 96, l’auteur de ce texte lit : « Paul et Benjamin sont assis sur le toit de l’abri de jardin des Martin. C’est la nuit, la lune est blanche. Fin de chapitre, Paul parle : « Mon regard est attiré par la poudre blanche qui s’échappe du petit sachet que Ben vient d’éventrer, après l’avoir serré dans sa main. Les oiseaux … -suite à la fin de la nouvelle !) 

Le lendemain matin, sur les tuiles du toit de l’abri de Jardin des Martin, deux moineaux, communs moineaux, appelés moineau 1 dorénavant abrégé en 1 et moineau 2 abrégé en 2, cherchent ripaille, queue alerte, ailes papillonnantes, pattes agiles, œil vif et bec à l’affût :

1Tchuitt ! Qu’est c’est ça ?

2 Sais pas

1 Renifle

2 Pas facile avec bec

1 Essaie

2 Essaie toi

1 C’est toi le plus jeune

2 Et alors ?

1 Les plus jeunes ils doivent écouter les plus vieux

2 Et les plus vieux éduquer les plus jeunes

1 Vouais

2 Donc montre comment on renifle

1 Bec à terre – blanc-bec !

2 Bec à terre je suis mais renifle pas

1 Regarde – je renifle

2 Je regarde – je renifle

1 Ça sent que dalle

2 C’est blanchâtre trop propre

1 Ça être farine

2 Qu’est c’est farine ?

1 Truc à faire pain

2 Pain miam mais ça pas miam

1 Si à terre mangeable

2 Tout à terre mangeable ?

1 Souvent

2 Toujours ?

1 Trop de questions – renifle ! – je renifle itou

2 Ai du mal

1 Alors – quoi t’en dis ?

2 Bizarre

1 Explique

2 Comme un nuage

1 Nuage au-dessus – pas à terre

2 Si nuage par terre

1 Pourquoi toi titubes ?

2 Parce que moi sur nuage

1 Toi être à terre et à terre pas nuages

2 Moi pas pouvoir voler – nuage par terre – moi planer

1 Toi être fou dans la tête et le bec et les ailes et la queue

2 Je te plumerai

1 Oh moi plus tenir debout non plus sur pattes

2 Je te plumerai et les pattes et le bec et les ailes et la queue

1 Moi très vague à l’âme – moi très boursoufflé – moi très envolé – moi très malade

2 Moi m’envoyer en l’air…

1… et toi retomber tout mou

2 Mal au bedon

1 Blanc-bec, j’ai tout pareil

Pas de réponse. Arrêt brutal d’une conversation à bâtons rompus, casse-oreilles, caquetante et acidulée. Car le chat gris, qui passait par là, les surveillait, depuis quelques temps déjà, de ses grands yeux jaunes en amande. Et comme tout le monde le sait, les chats peuvent pas piffer les zoiziaux, parce qu’ils piaillent et chantent alors que lui, le chat, il aime le silence feutré et pattes de velours. En toute logique féline, il leur sauta dessus. Et zou, deux piafs en moins. Moins de bruit. Le silence. Puis, songeur et perplexe, il donna deux trois coups de langue sur cette drôle de poudre blanche qui ressemblait à lait, se lécha les moustaches, s’assoupit et fit de beaux rêves.

(… vont pouvoir se payer l’envolée de leur vie s’ils passent par-là ! » )

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