Tant qu’on est dans la bestiole, Poil s’impose.

Et Misia n’en dira pas plus car ce serait gâté la fugacité, la légèreté de cette nouvelle qu’elle dédie à son petit-fils bien sûr, même si ledit petit-fils est un grand petit-fils et qu’il n’en a plus rien à faire des histoires à la noix de sa petite mère-grand. Hélas pour lui ! La malédiction du poil va le hanter toute sa vie… 

Simon regardait Poil.

Ce n’était pas un poil habituel.

Pas un poil de la race de ceux que l’on trouve par exemple, sur Chat, Chien, Lapinou, Chèvre, Poule (ça pas plume, poil !!).

D’abord ce poil était unique ! Il ne vivait pas en groupe comme les autres, au sein d’une vaste communauté chaude et solidaire.

Lui il était solitaire. Esseulé.

Et puis il ne vivait pas sur le même terrain que les autres. Les poils habituels, eux, vivaient sur Bêtes. Cachés. Serrés sur de la peau chaude qu’on ne voyait qu’à peine. En farfouillant bien, on la découvrait, cette peau, tout en dessous.

Lui il dominait et la peau en-dessous était bien visible. Une peau un peu rugueuse, granuleuse, blanchâtre et froide. Simon savait qu’elle était froide quand il faisait des bisous à côté du poil. D’ailleurs pas beaucoup de bisous car la présence du poil le gênait.

Le rendait perplexe.

Pourquoi était-il là ? Quelle était la raison d’être de ce poil qui aurait dû être avec ses copains et copines poils sur la peau de Bêtes.

C’était incompréhensible.

Voire bouleversant.

Car alors cela signifiait-il que Poil se baladait ? Pouvait aller de Bête à Mamie ?

Mais quand ?

Jamais Simon n’avait vu de poil quitter le dos de Bête, aller se promener et grimper tout en haut de Mamie pour se ficher dans son menton dodu.

Et donc si Poil ne venait pas de Bête, où était-il né ?

Simon regardait le poil.

Dubitatif.

Interrogateur.

Perplexe.

Simon regardait le poil sur le menton de Mamie.

Lorsque Mamie mangeait, le poil doucement chavirait.

Lorsque Mamie se promenait, le poil s’agitait comme plume.

Lorsque Mamie se lavait, le poil se penchait sous la gouttelette, puis se redressait mais sans raideur. Car ce poil semblait souple, très mince d’ailleurs, pas la dureté et la sécheresse de poil de chèvre. Un peu comme poil de Lapinou mais en plus gros tout de même.

Simon aurait aimé toucher le poil pour en connaitre mieux la consistance.

Il aurait aimé entourer le poil autour de son petit doigt pour faire un anneau de poil.

Mais il craignait de l’abimer ou de lui faire mal.

— Enfin ma fille (mère de Simon), tu ne peux pas me dire quand j’ai des poils qui me poussent au menton. C’est affreux.

— Je n’avais pas vu. Excuse. Mais bon je ne te regarde pas le menton tous les jours.

Est-ce que cette conversation causa la disparition du poil ? Y-a-t-il  eu cause à effet ? Simon ne sait pas trop. Pas toujours facile de comprendre ce que les grands deux-pattes veulent dire. Toujours est-il que le poil disparut.

Simon eut beau regarder le menton de Mamie en plein soleil, de profil et de face. Incontestablement, il n’y avait plus de poil. Qu’était-il devenu ? Quelle manigance, quelle manœuvre, quelle incantatoire parole ou quel geste téméraire ont-ils causé le départ du poil ?

À moins que le poil, désespéré devant sa vaste solitude, ne soit redescendu du menton de Mamie et ne soit retourné sur le dos de Bêtes.

Une nuit sans lune pour que personne ne le voie.

Simon va attendre le retour de Poil.

Simon attend.

C’est un peu long.

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