Bon d’accord, Misia s’est emmêlé les pinceaux ! Lorsqu’elle écrivit La Bonne Fée il y a quelques temps, elle le fit en référence à un livre de Charlotte : Les Vies d’Elise. Et à un vieux conte : Cendrillon mâtiné d’Halloween et d’autres légendes ou histoires du même acabit. 

La ressortir aujourd’hui manque un peu son but, puisque Charlotte sort Libertas – Doutes et que Les Vies d’Elise flottent dans un passé déjà un peu évanescent. Eh bien tant pis, Misia assume : elle fêtera la sortie de Libertas en honorant Elise ! 

Pareil, Halloween, c’est déjà passé. Les enfants ont réclamé des bonbons en chantonnant allégrement. Certes mais comme Misia vous propose sa nouvelle seulement le dimanche, si Halloween ne tombe pas un dimanche, hein, comment elle fait ? Elle fait pas ou alors elle fait en retard. Elle a choisi la deuxième solution. 

Bref, une nouvelle rien que pour vous amuser et vous souhaiter une bonne semaine à venir. Et foin de références et de pensées complexes et profondes. Ce sera pour une prochaine fois. Par contre, elle ne peut pas s’empêcher de vous fourguer une bien chouette phrase de Aharon Appelfeld dans  Badenheim 1939 : « Les mots pleins de griserie voltigeaient durant des heures bien au-delà de minuit. »

Quant au petit voisin, il est venu partager ses bonbons avec Misia : ceux au coquelicot sont particulièrement délicieux. Misia et le petit voisin les teussent, assis sur le banc du parc, en plein soleil, ciel bleu et flèches de vent pur. 

La bonne fée s’ennuyait ferme. L’immortalité, c’est bien gentil, mais encore faut-il avoir des trucs à se mettre sous la dent. Or, depuis la mort de tous ces chouettes personnages qui habitaient contes et légendes, il n’y avait pas eu vraiment de relève. Elle attendait un regain de travail, lorsque de grands écrivains s’étaient emparés de la magie, avaient inventé de nouveaux lieux emplis de créatures surnaturelles. Orques, elfes, nains avaient débordé d’activité. Mais les fées… Pourtant elle s’était préparée : costume plus sexy, suppression du chapeau pointu un peu ridicule, emoji sur la baguette. Elle était même prête à améliorer des sorts un peu surannés, et à renouveler son stock d’actions merveilleuses. Mais rien ! Quant à demander sa mutation… sa carcasse n’était tout de même plus assez souple pour envisager un lourd déménagement. 

En tout cas, elle continuait tous les jours à s’entraîner. Il ne s’agissait pas de perdre la main. Le mouvement du poignet se devait d’être impeccable, sous peine de rendre la magie inopérante. Vers 22h30, quotidiennement, elle commençait à se préparer et, vers 23h, elle s’emparait de la baguette de travail – modeste branche de coudrier – la caressait, l’échauffait, la faisait vibrer, la mettait en condition. Ensuite le travail commençait : la baguette valsait, montait, descendait, arabesquait, volutait. Jusqu’à ce que le poignet réclamât grâce. Alors la bonne fée laissait vagabonder la baguette à son aise, la faisant brouter la paille de la noire nuit et les étoiles craquantes comme des meringues. Jusqu’à ce que la grande horloge franc-comtoise du salon cramoisi ne frappât les douze coups de minuit. Au dernier coup, la fée essuyait tendrement la baguette et la couchait dans un drap de soie blanc jusqu’au lendemain. Dans le vieux temps, elle se serait préparé ensuite un repas fin avec des huîtres et du champagne, elle aurait soupé à la lumière de chandelles mielleuses. Mais le cœur n’y était plus. Un fond de pizza réchauffé au micro-ondes suffirait largement. 

Jusqu’au jour où le prince charmant fit irruption en sa demeure ! Oui le prince charmant, le pauvre type, magicien raté et bouche-trou dans les spectacles d’antan. À présent érémiste, il était venu se réfugier auprès de la fée qui l’avait accueilli. Pour lui montrer sa gratitude, il parcourait le monde à la recherche de contrats possibles. Il s’éloignait parfois durant des semaines pour revenir bredouille et penaud. Mais aujourd’hui le visage rayonnait, un sourire de croissant de lune était collé sur ses dents jaunes et, mais oui, il gambadait le bougre, il gambadait ! Il envoya promener sa valisette sur le canapé, écrabouillant au passage un raton en manque de flûte et claironna : « On a du taff ! ». Et rapidement il lui exposa l’affaire : il s’agissait de conduire une certaine Elise depuis son lieu d’habitation jusqu’à la demeure d’un dénommé Alexander, roi d’un pays imaginaire et maître magicien de très grand renom. La donzelle avait vu Alexander en rêve, s’en était fortement entichée et ne désirait plus qu’une chose : retrouver l’être aimé, au demeurant un fort bel homme et richement pourvu. Et qui payait ? Ah… Euh… Le prince charmant émit l’hypothèse que peut-être… sur la cassette personnelle… « Ouais, enfin nous verrons bien. Si cet Alexander est riche et s’il est satisfait du service rendu, on pourra peut-être lui demander un extra. Et au fait, pourquoi il ne le fait pas lui-même ? » Le prince charmant s’embrouilla dans des explications confuses. La bonne fée, compatissante, ne poursuivit pas ses investigations et le laissa tranquille. « C’est pour demain ! ». « Tu pouvais pas le dire plus tôt ? » Elle aurait bien ajouté « imbécile » ou un truc comme ça, mais en tant que bonne fée, ce n’eût pas été charitable. 

Branle-bas ! Préparer vêtements d’apparat (les modernes), maquillage, baguette de luxe… Prévenir souris/chevaux, gros rat moustachu/cocher et lézards/laquais. Courir chercher une citrouille/carrosse ventripotente à la ferme voisine (pourvu qu’il y en ait !). Répéter le texte. Repérer les lieux de prise en charge et de dépôt, etc… etc… On voyait tout de même que la fée avait vieilli. Autrefois elle aurait assuré en quelques heures. Maintenant il lui fallut la nuit entière et toute la journée du lendemain pour s’assurer que tout était en place et que rien n’avait été oublié. « Et la chaussure ? » « Pas besoin ! ». Ah… 

Durant tout le trajet jusqu’à la maison d’Elise, en plein centre-ville (c’était d’un pratique avec tout le barda !), la fée avait l’impression d’avoir oublié quelque chose. Ça devait être cet accessoire soi-disant inutile qui la travaillait. Le prince charmant débarqua fée et matos devant la porte et partit garer la camionnette où il pouvait. 

« Ah elle est forte ! et je me prépare où, moi ? » La fée ronchonna. Le prince charmant aurait pu laisser la camionnette plus près. Elle s’en serait servie comme loge, alors que là ? « Ma foi, tant pis ! » et elle traversa le mur de la maison avec armes et bagages et s’installa dans le couloir. Heureusement c’était un petit immeuble et non une maison particulière et la fée put tranquillement, à défaut de confortablement, se préparer. 

Vers 21h environ, elle s’envola dans l’appartement d’Elise, voleta au-dessus de la demoiselle endormie et lui susurra d’une voix angélique mâtinée en arrière fond d’un concert de cuis-cuis : « Oh toi, belle Elise, je suis la bonne fée. Je sais que tu veux rejoindre Alexander. Je viens t’aider. Sors de ton lit et habille-toi. Devant ta maison, tu trouveras un carrosse attelé qui te conduira chez ton bien-aimé. Mais attention, il te faut rentrer absolument avant minuit. Sinon, ton carrosse redeviendra citrouille, tes chevaux souris, tes laquais lézards, et tes vieux habits reprendront leur première forme. ». La belle Elise se réveilla en sursaut et fut fort interloquée de voir une sorte de chose évanescente à visage féminin maquillé gore. La chose semblait tout sucre et harmonie, les voiles noirs papillotaient comme des ailes et on aurait dit qu’une espèce de baguette scintillait et s’agitait. 

Elise comprenait que dalle à ce qui lui arrivait. « Va rejoindre ton bien-aimé. Ton carrosse t’attend. Les chevaux piaffent. » Quand elle était petite, elle adorait les contes de fées, surtout Cendrillon. Elle crut qu’elle rêvait. « Après tout, qu’ai-je à perdre ? » Et elle sauta de son lit, légère et enjouée, courut à son armoire, en tira la longue robe satinée que sa maman lui avait achetée pour Noël. La fée fut mécontente : normalement elle aurait dû agiter sa baguette et changer la chemise de nuit à trous (pas de trous !) de la jeune fille en robe de bal. Il y avait déjà un os ! Elise enfila une paire d’escarpins assortis à la robe (ça c’était le cadeau de mami) et la fée une nouvelle fois maugréa : ce n’était pas du tout ce qui était écrit dans le scénario. Elise enfin ébouriffa ses cheveux, saisit une élégante pochette apparemment déjà toute prête à l’emploi et déclara qu’elle se maquillerait dans la voiture. 

En un instant elle dévala les escaliers, ouvrit la lourde porte et fut estomaquée de voir, en vrai, un carrosse doré tiré par des chevaux gris pommelés, un gros cocher moustachu assis sur le siège de devant, tandis que des laquais graciles et souriants l’aidaient à monter le marchepied. La pauvre fée n’en pouvait mais, tant Elise avait été rapide : un peu plus, et carrosse et cocher et laquais prenaient forme dans le couloir ! 

Le carrosse s’ébranla. Elise partit, s’envola vers son rêve. 

Bien sûr à minuit elle dansait toujours. Et encore à une heure du matin et puis encore après et elle soupa et elle fut heureuse. Lorsqu’elle sortit à l’aube, plus de carrosse, mais elle s’en fichait pas mal. Le coupé Mercedes de son roi bien-aimé l’attendait, le chauffeur lui ouvrit la porte et aussi doucement qu’un avion décollant au lever du soleil, Elise fut ramenée chez elle où elle s’endormit, le cœur débordant d’allégresse. 

Celle qui, par contre, ne débordait pas du tout d’allégresse, c’était la bonne fée. Lorsqu’Elise était partie, elle était restée dans la chambre de la jeune fille, farfouillant un peu partout, curieuse d’apprendre comment Elise vivait, ses envies, ses hobbies, ses lectures, ses tenues… ses peluches. Elle attendait minuit bien sûr. Minuit ! Elle saisit sa baguette. Les coups s’égrenaient au clocher de l’église (rarissime d’ailleurs, car les cloches étaient bien souvent contraintes au silence dès potron-minet) et la fée attendit. Mais rien ne se passa. Elle fut troublée. Agita sa baguette par pure conscience professionnelle, puis fila dans le couloir. Ouvrit la grande porte. Le prince charmant attendait dans la camionnette. Il fut surpris lui aussi ! Ils attendirent encore un peu, de concert, rangeant la cantine de costume et maquillage et puis… ils s’en allèrent, dépités. Point de carrosse/citrouille, de chevaux/lézards, de gros cocher moustachu/de gros rat moustachu, ni de laquais/souris. Où étaient-ils ? 

Le lendemain, dans sa boule de cristal bien usagée, bien ternie, elle vit un spectacle affligeant : point de cocher mais un gros rat moustachu qui avait filé dans les égouts chercher une grosse rate non moustachue. Point de laquais, mais des souris malicieuses qui firent tourner en bourrique les pauvres chats du quartier. Point de chevaux, mais des lézards qui prirent résidence secondaire dans les fissures des murets de jardins. Quant à la citrouille ? Mystère ! 

Dépitée, vexée, elle ne toucha pas à sa baguette et envoya le prince charmant tondre la pelouse et rentrer les géraniums. Minuit sonna dans le silence… pour rien.

« Nous rappelons qu’il est absolument interdit de faire traîner des légumes, sains ou pourris, petits ou gros, comestibles ou non, sur la voie publique. Tout contrevenant se verra sommé de payer une amende correspondant au transport du légume précité à la décharge ou au marché et au nettoyage de la chaussée. »

Arrêté municipal du 2 novembre 2024.

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