C’est un petit rien, pour que vous soyez heureux.
Misia sait bien que la Saint Valentin sera passée au moment où vous lirez cette nouvelle. Mais elle voulait, bien qu’en retard, dire tout son espoir dans l’amour. Oui bien sûr, ça fait peace and love et baba cool mais on se refait pas !
Simon en avait sa claque. Il prit sa casquette, son hoodie et sortit de l’appartement qu’il occupait avec son père en claquant la porte vigoureusement. Le père ne réagit pas, tout absorbé par son grand roman qu’il recommençait tout le temps, n’achevait jamais, corrigeait à l’aube, redétricotait à l’aurore et copiait-collait fragments et citations à qui mieux mieux.
Son père était un créateur et lui-même, Simon, un rien, quelque chose qui n’avait pas été prévu, comme une grosse bouse sur la pelouse. Donc les grosses bouses, on n’en a pas besoin, sauf pour plaire aux mouches et aux asticots. Et là Simon franchement n’en avait rien à foutre, de contenter mouches et asticots.
Il sortit donc, dévala les escaliers, ouvrit bien large la porte cochère qui n’eut pas envie de se refermer de sitôt et s’en fut gaillard par les rues encore désertes, en ce matin dru et coupant d’un beau jour d’hiver, la casquette noire bien enfoncée et la capuche du hoodie tirée par-dessus. Bien malin la personne qui aurait pu le reconnaître.
Le problème était juste de savoir où aller. Bof ! Qu’à cela ne tienne ! Un rayon de soleil venait juste de naître et fusait entre deux immeubles, à l’aplomb d’une ruelle étroite toujours humide et moussue. « Sympa » se dit Simon.
Et il enfourcha le rayon de soleil. S’installa confortablement et attendit que quelque chose arrivât.
(Autrefois, l’auteur avait écrit dans son gros cahier d’idées nouvelles à développer : « Il vit un rayon de lumière. Il l’ouvrit. Et grimpa dedans. » Franchement, c’eût été plus intelligent car Simon aurait pu se mettre à l’abri dans le rayon, comme un téléphérique en somme, et il aurait été nettement mieux.)
— Ben voilà autre chose s’exclama le soleil. Si tous les gosses de la terre prennent mes bras et jambes pour des canassons, on n’est pas sorti de l’auberge. Eh morveux, oui toi, tu peux descendre ? Je ne suis pas un cheval, mais un honnête soleil et j’ai besoin de tous mes abattis.
Simon rétorqua
— M’en fous.
Et le soleil en fut baba.
Comme tout, dans l’organisme solaire, est programmé par avance et que la conduite manuelle est oubliée de longue date, les rayons qui léchaient les murs et les arbres de la vieille petite placette se mirent à s’élever automatiquement et Simon aussi bien sûr.
C’était plaisant à l’œil. Vue du dessus. Comme au cinéma. Ou dans ses jeux video. Sauf que là il avait nettement chaud au cul. Et qu’il aurait dû prendre ses lunettes de soleil, l’éblouissement devenait un peu désagréable. Tant pis.
Genre escalator ou bras articulés d’un manège foldingue, ça montait bien ! Et sans ceinture de sécurité. Il tanguait fortement et voulut se tenir à quelque chose ! Et il se brûla les doigts en les enfonçant de chaque côté. « Ouille ouille ».
— Bien fait, ricana l’astre apollonien.
Une cigogne passa et s’étrangla en voyant Simon arcbouté sur son rayon, clignant des yeux et tentant de s’abriter sous casquette et capuche.
— Qu’est ce que c’est que ça ?
Ça, c’est Simon sur un rayon de soleil.
— Ah bon, dit la cigogne. C’est donc normal ?
— Mais oui, pas de panique, dit l’auteur de l’histoire. On en voit bien d’autres de nos jours.
— Pensée bien médiocre et bas de gamme, pensa la cigogne. Un auteur sans envergure. Un de plus. Je passe mon chemin.
La mouette se désintéressa complètement de cette forme nettement déséquilibrée qui tentait de rester assise sur son rayon. Aucun intérêt.
Un avion se vautra dans un tentacule doré. Apparemment sans dommage, il ressortit de l’autre côté, encore plus brillant.
Les anges eux se sentirent plus concernés. Déjà qu’on avait vu le fils du Patron monter ici dans ce corps lourd et pesant, alors que par principe tout corps lourd et pesant doit rester sur terre, voilà maintenant qu’un autre gugusse arrive, avec un corps lourd et pesant et des habits par-dessus ! Le fils du Patron lui n’avait qu’un beau drap brodé, mais regardez celui-ci ! Pire que tout.
— On prévient le Patron ?
— Pas à cette heure-ci, imbécile, il est dans sa partie d’échecs avec la mère du petit et il a horreur d’être dérangé.
— Alors qu’est-ce qu’on fait ?
— On note sur le grand cahier et on laisse passer.
Simon avait bien entr’aperçu, entre ses cils tout mouillés de larmes incandescentes, des volatiles divers, mais franchement, quand tu es ébloui, tu fais la différence, toi, entre une cigogne, une mouette, un avion et un ange ? Ah !
C’est bien que tu interviennes, l’auteur, parce qu’où est-ce tu l’emmènes ton Simon ? Hein ? Ah t’en sais rien. T’as eu une idée comme ça d’un gamin qui enfourche un rayon de soleil. Et maintenant qu’il chevauche allègre (allègre étant vite dit car il est un peu sujet au vertige le pauvre diable et il a bougrement chaud au séant), tu le plaques ! Et t’as pensé à son père ? Ah non ! Parce que tout à l’heure, il va peut-être émerger le père et chercher son gamin ? Et là qu’est-ce que t’inventes ?
Il invente ça :
Le père a levé le nez de son ordinateur. Il se dit que c’est peut-être dimanche aujourd’hui et que Simon est là. Il se lève et se dirige vers la chambre de son fils. Porte close. Sous la porte mal ajustée : l’obscurité. Simon doit dormir encore. Et s’il faisait la surprise du siècle à son fiston. Vite, vite. De l’argent. Les clés. Le père s’agite, tout doucement pour ne pas réveiller Simon. Il file dans les escaliers, à la boulangerie, remonte, sort bol et chocolat et cuillère et lait et petite assiette sous les pains au chocolat et glisse le plateau en plastique à fleurs sous petite assiette et bol et va frapper à la porte et ouvre la porte et fonce vers la fenêtre, l’ouvre en grand, le soleil dégringole dans la chambre…
(Enfin le rayon sur lequel tentait de se tenir Simon. Quasi à la verticale, en plongée aérodynamique, le rayon de soleil et Simon qui tente de se tenir en selle – le tout se déverse par la fenêtre. Sous le regard ébahi …de ? Je sais pas, dit l’auteur : la mouette elle s’en fiche, elle éviscère une sardine, la cigogne a déjà oublié, l’avion il a disparu, la tête pensante du soleil ? Ah oui elle, elle est contente : bon débarras. Mais ce sont surtout les anges qui se frottent leurs douces et onctueuses menottes : tout est rentré dans l’ordre, plus d’individu corporel dans les airs, on peut respirer quiètement.)
… Simon cul par-dessus tête sur le plancher en casquette et hoodie. Incompréhension du père qui débarque et qui n’a rien capté de la scène entre parenthèses et qui découvre le fiston en petit tas sur le plancher : Simon sur le plancher, et tout habillé ? Ah hier soir peut-être, il était allé au cinéma et ne s’est pas mis en pyjama. Il aurait dormi sur le sol ? Zut alors ! Et le père qui revient avec le plateau et crie comme un pivert : « Le petit déjeuner de Monsieur Simon est avancé ! « Et le père qui s’incline comme un garçon de café stylé et qui rigole et qui tient le plateau, tout odorant. Et Simon qui relève la tête, repousse capuche et hoodie et regarde, ébahi, son père hilare tout empli de joyeuseté.
Il en oublie les cloques qui commencent à gonfler sous le pantalon, son mal de crâne, ses joues cramées et les extrémités de ses mains rougeâtres et endolories.
Simon regarde son père. Il le regarde bien. Il en oublie de dire bonjour, merci, ben tu fais quoi, qu’est-ce qui t’arrive, tu vas bien … ou autres inepties banales.
— Dis papa, t’aurais pas un truc contre les brûlures ?
— Peut-être bien, je vais voir ça.
Et le père pose le plateau sur la couette pas tout à fait plate (bol un peu penché) et sort et Simon reste sur son cul, tout pensif, tout rêveur, tout bizarre, tout enveloppé d’une saprée bonne odeur de chocolat.
Et l’on dirait que des paillettes d’or illuminent ses grands yeux azur mouillés de larmes tendres.