C’était casse-pieds dans le temps lorsque les profs demandaient quel métier on voulait faire. Avouons que si, pour quelques tempéraments peut-être plus trempés que d’autres ou/et plus matures ou/et plus inconscients, la voie s’avère toute tracée et se déroule déjà vers l’horizon en une large bande d’autoroute, glissières de maintien de chaque côté. Pour beaucoup d’autres, et c’est tant mieux, un peu plus de doute et d’errance abrite les jeunes âmes.
Voici donc notre petit Simon, fragile tête creuse s’il en est, aux prises avec ce cruel problème : qu’est-ce que tu veux faire ? et accessoirement, qu’est-ce que tu aimes, qu’est-ce que tu crains ? Avec des questions pareilles, il y a de quoi faire des cauchemars. Heureusement dans notre histoire, le brave professeur a eu la gentillesse de ne pas les poser trop en amont, ses fichues questions, et la surprise a joué. Pris sur le fait, s’agit de répondre vite et de ne pas trop réfléchir au comment et au pourquoi.
Justement le pourquoi est venu ici s’interposer comme un grand fâcheux de première. Et colle aux pattes.
Dans des cervelles comme celle de Simon, le printemps ne fait pas bon ménage avec la glue des questionnements existentiels. Mais ne t’inquiète pas, petit Simon, tu as de la veine : regarde, le vent t’aime.
« Mais quoi, nous sommes par tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous, s’aime à bruire, à s’agiter, et se contente en ses propres offices, sans désirer la stabilité, la solidité, qualités non siennes ». (Montaigne – les Essais)
— Ouah… Ouahou…
Simon hurle, Simon jubile, Simon crie encore plus.
La fenêtre est large ouverte, il est accoudé au petit balcon de fer vaguement forgé, la tête bien dirigée vers le ciel.
Un ciel noir, gris de ferraille, tout zébré d’éclairs bleus/étincelles, et la ville en-dessous en est comme ruisselante d’une lumière jaune, d’une couleur que Simon imagine bien pour la lave des volcans dégueulants.
Ça, c’est grandiose. C’est gigantesque. C’est du spectacle spectaculaire. Qu’il en martèle le plancher à grands coups de talon.
C’est de la veine que je sois là. La veine que je sois dans l’orage. La veine que ma veine à moi elle déveine avec celle du gros tonnerre ventru et celles des éclairs que le gros tonnerre il déchire et celle du vent qui recrache les noyaux du gros tonnerre et celle de la pluie qui fait rien que mouiller les nuages et le vent et les éclairs.
Que Simon en a plein le museau de la pluie qui vient d’éclater. Un ballon dodu qui a explosé et que le ballon dodu explosant ça fait le même bruit que le tonnerre klaxon.
Encore, encore, pfuitt, badaboum, tout près, viens.
Maman accourt, elle agrippe Simon, le tire en arrière et ferme hermétiquement la fenêtre et pire, elle ferme les rideaux.
— T’es fou ?
Papa sur les talons de maman, il se marre.
— Pourquoi tu l’en empêches ? T’en fais un couard.
— Mais tu te rends compte ! Il peut se faire électrocuté, incendié, blessé. En plus il tenait le balcon ça fait résistance.
Simon récrimine et, non sans mal, se projette loin des bras maternels, vers la fenêtre. Le rideau gicle, la fenêtre jaillit.
— Ouahou…
Simon hurle, Simon jubile
Le père tranquillement :
— Je gère.
Et il se met derrière son fiston et père et fils hurlent et jubilent.
La mère s’en lave les mains.
— N’importe quoi.
Quand on demande à Simon ce qu’il veut faire plus tard, il dit
— Je sais pas.
Quand on demande à Simon ce qu’il préfère regarder, il dit
— L’orage qui pète.
Quand on demande à Simon ce dont il a peur, il dit
— Quand c’est tout calme et qu’on n’entend rien.
La maîtresse regarde Simon d’un œil étonné. En voilà encore un qui veut faire son intéressant.
À chaque orage, Simon ouvre large la fenêtre (celle de la pièce où il est, n’importe quelle fenêtre !). S’il peut, il s’accoude (mais parfois les fenêtres n’ont pas de balcon). Il attend papa qui va venir derrière lui l’enserrer de ses bras musclés et Simon sera en sécurité, sauf que depuis quelques mois les bras musclés, et Papa en même temps, ils ne sont pas vraiment là ! Maman elle s’en fiche, elle n’embêtera pas Simon, il peut faire ce qu’il veut, attraper les éclairs et gober le tonnerre s’il en a envie. Elle en a sa claque !
Simon grandit un peu. Pas très vite. Quand il n’y a pas d’orage – et sapristi, on ne peut pas dire qu’il y en a beaucoup ! – Simon lit des trucs sur l’orage.
Quand on demande à Simon ce qu’il veut faire plus tard, il dit
— Capteur d’éclairs et lanceur de tonnerre.
Quand on demande à Simon ce qu’il préfère regarder, il dit
— L’orage en feu.
Quand on demande à Simon ce dont il a peur, il dit
— Le silence.
Le maître ignore Simon et passe à un autre élève. Les copains de Simon ricanent.
Simon grandit un peu. Un peu plus vite. Simon se lance dans la mythologie… chapitre orage bien sûr et quelque chose le chipote : Zeus le tonnant, le tonitruant, le lanceur de foudre, ousqu’il est quand il lance ses trucs ? Au Sud, au Nord, à l’Est, à l’Ouest ? Au centre ? Pourquoi on ne le voit jamais ? Se cache-t-il dans les nuages et pourquoi ils sont noirs alors qu’ils font naître la lumière ? Et Taranis, pourquoi il tient une roue ? Et pourquoi… et pourquoi ?
Quand on demande à Simon ce qu’il veut faire plus tard, il dit
— Chercheur de pourquoi. Ou bien conducteur de char dans les cohortes divines.
Quand on demande à Simon ce qu’il préfère regarder, il dit
— Le rien lumineux dans le nuage noir.
Quand on demande à Simon ce dont il a peur, il dit
— J’ai jamais peur.
Il y avait tellement de chahut dans la classe que personne n’entendit ce que murmurait Simon. Et le professeur dit :
— Très bien, Simon.
Et Simon dit :
— Va y avoir de l’orage. On a de la veine.