Où l’on retrouve Simon, sorte de double masculin de l’auteure, mâtiné de souvenirs de divers enfants rencontrés ici et là

Où l’on assiste à un affrontement entre Simon et sa maman

Où l’on ne peut que comprendre la lassitude de la maman

Et où on perçoit le dilemme de Simon qui va se transformer en grande peur

Où on va tenter de comprendre la logique curieuse et subtile qui habite le vocabulaire de Simon

Où on s’étonne (et déplore ?) la rouerie de l’enfant et la naïveté de la maman crédule

Et où on se réjouit d’une fin certes teintée d’optimisme, bien que gardant un relent légèrement acidulé…

Simon impassible et maman très remontée contre son fiston.

—  Et en plus tu récrimines ?

—  Nan, je récrimine pas. Tu m’as dit qu’on met « re » devant les monts quand on « recommence ». J’ai commencé et je continue de commencer, donc je recommence. Je « redonne ». J’ai donné et je continue à donner. « Je retombe ». J’ai tombé (je suis tombé, baragouine maman) et je continue à tomber. Et là j’ai jamais criminé.

—  Mais qu’est-ce que tu racontes ? Et tu signes, et tu persistes et tu vas récidiver peut-être ?

—  Nan, je récidive pas. J’ai jamais cidivé, donc je ne peux pas récidiver. D’ailleurs je sais pas ce que c’est que cidiver.

—  En plus, il se moque de moi, ce satané gamin. Ecoute-moi bien Simon ! Content ou pas content, d’accord ou pas d’accord, tu vas me nettoyer ta chambre tout de suite. Mettre tes affaires sales dans le panier à linge de la salle de bains. Ôter les miettes de gâteau. Vider la poubelle et ensuite passer l’aspirateur. Tu entends ?

—  J’entends mais je ferai pas parce que j’ai pas envie.

—  Tu crois que j’ai envie, moi, de faire le ménage de la maison tous les samedis ? Tu es en vacances et tu pourrais au moins m’aider.

—  Nan. Je suis épuisé !

—  Il va me rendre folle, ce satané gamin (bis). C’est ça que tu veux, Simon ? Rendre folle ta pauvre mère ?

—  Nan.

—  Alors qu’est-ce que tu cherches ?

(silence)

—  Qu’est-ce que tu veux ?

(silence)

Et maman sort de la chambre de Simon, carrément sur les rotules. En marmonnant des trucs du genre qu’elle va le dire à ton père, qu’heureusement qu’elle n’a qu’un môme, qu’elle va prendre une mouche (ça paraît curieux… c’est peut-être pas un m, peut-être un l : louche… ah non, Simon est bête, d bien sûr !), qu’elle va prendre l’air (et bon courage à elle, pauvre maman, car arriver à choper de l’air comme ça, avec ses petites mains blanches, ça va être coton), qu’elle en a marre et que si elle croyait pas en Dieu elle se ficherait en l’air (sûrement que ce serait plus facile pour l’attraper, cet air auquel elle a l’air de tenir : ouah plein d’air partout, les fenêtres sont ouvertes sur un printemps qui crapahute sur ses patouilles griffues et jaunes jonquille- fait bon, ça sent bon, l’oiseau noir tient une branchette dans le bec…faudrait pas trop se pencher par la fenêtre, pense Simon)

(silence)

Chercher dans le dico criminé et cidivé. On a mis sur la tablette de Simon un bidule de vocabulaire français : ce que ça veut dire, comment ça se conjugue, les emplois fréquents, des exemples chez des grands auteurs. Et Simon s’installe sur la couette pleine de miettes de gâteau, lampe une dernière goutte de coca et cherche. Cherche. Ça doit pas être complet ce truc, les deux mots ne s’y trouvent pas.

À moins que criminé ne vienne de crime… Ouh là là. Mais alors laisser traîner ses jouets sur le plancher de sa chambre, ne pas ramasser les miettes ou bien les jeter par la fenêtre, remettre le linge sale avec le propre comme ça on voit plus la différence, ne pas descendre la poubelle et ne pas promener en laisse l’aspirateur, c’est un crime ! Crime que j’ai donc re et re et re, je sais pas combien de fois. Parce que franchement – et je me sens très fautif, moi Simon- j’ai criminé à mort sur ce coup-là ! « Réclusion, prison » ! Non ! Je l’ai échappé belle !

Et alors cidivé, ça viendrait de quoi ? Je trouve pas. Par contre si je remets le re devant, punaise !! Oh je suis mal ! « La récidive a pour effet d’aggraver les peines encourues : en cas de crime : la personne reconnue coupable d’un nouveau crime après avoir déjà été condamnée pour un crime antérieur, encourt la réclusion criminelle à perpétuité (si son crime est puni de 20 ou 30 ans) ou une peine de 30 ans de réclusion (si son crime est puni de 15 ans). »

Va falloir, comme il dit le truc des définitions, trouver des « circonstances atténuantes ». Pour que la sanction ne soit pas trop forte, déjà à criminé. Comme ça, cidivé sera aussi plus petit.

Simon ignore ce que sont les circonstances atténuantes. Et il va pas passer sa journée à chercher encore d’autres définitions. Il en a marre ! Mais son bon sens l’aiguille. Comme la phrase elle est tournée, c’est quelque chose (au pluriel) qui permet d’adoucir le criminé et le cidivé. Genre confiture peut-être, ou miel, ou mousse ? Le vent frais du printemps léger et grattouillant lui chatouille les narines et il se dit que ce serait sans doute vachement bien de se mettre maman dans la poche (ça non plus, ça ne va pas être facile, mais en la pliant en très petit, Simon devrait y arriver !). Que maman ne soit plus son ennemie, mais au contraire une chouette alliée. Pour qu’elle puisse lui donner confiture, miel ou mousse. Et ça c’est très facile ! A tous les coups, ça marche et maman, elle fond !

—  Maman, maman !

(un murmure déteint par la flotte qui dégouline : quoi encore ?)

—  Je sais ce que je cherche. Je sais ce que je veux. Un bisou. (bis) Un bisou (bis)

Decrescendo de la voix de Simon. Murmure d’amour sous la flotte qui dégouline.

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