FICHE TECHNIQUE
Auteur : Myriam Frégonèse
Éditions : L’oiseau Parleur
Genre : psychiatrie, romance
Nombre de pages : 125
Coût : 15€ (broché)
Date de publication : juin 2023
Je viens de le lire, merci Michèle et Charlotte, de me l’avoir prêté. Sa lecture a été pour moi un plaisir. Il m’a replongée dans une époque que j’ai connue, la seconde guerre mondiale. J’avais 11 ans en 1943, assez grande pour ressentir l’ambiance de cette période d’occupation allemande. Et j’en ai quelques souvenirs nets, qui m’ont marquée à vie.
Ils sont remontés à ma mémoire au fil des pages, et je peux confirmer que Myriam Frégonèse s’est bien documentée et qu’elle a su rendre parfaitement le pénible quotidien de cette époque.
Exemples…
Les soldats allemands partout, on les croisait dans la rue comme on croise maintenant les voisins. J’ai encore dans les oreilles le bruit fortement cadencé de leurs bottes quand ils défilaient dans les rues en chantant (Heili, heilo, heila .. c’est du moins ce que nous pensions entendre … Chant des jeunesses hitlériennes ? Ils étaient si jeunes , sous leurs casques trop grands …) ; j’ai encore dans les yeux leur pas de parade, dit « pas de l’oie » … Et leurs uniformes gris-vert qui leur avaient donné le sobriquet de « haricots verts » quand on trouvait plus prudent , en public, de ne pas dire « boche », qu’ils pouvaient comprendre et considérer comme une insulte, avec toutes les répercussions possibles …
Ils n’étaient pas tous nazis, ils occupaient le terrain « normalement ». Mais leur présence était insupportable, voire dangereuse. A l’occasion, ils intervenaient dans des opérations spéciales : contrôles d’identité, de respect de consignes (pas de fleurs dans les jardins, mais les légumes, rutabagas et topinambours, inconnus de nous jusqu’alors), des restrictions alimentaires et autres, recherches de maquisards, rafle des juifs, etc
Dans leurs déplacements à la recherche de « proies », les Allemands (gradés, Gestapo) se déplaçaient en voitures à traction avant noires. Nous en avions peur, ne sachant comment se terminerait leur « virée », qui ne pouvait qu’être tragique : arrestation, interrogatoire, tortures, mort, déportation, le tout avec brutalité et cynisme. M. F. rend très bien ce climat avec la recherche et la fin de Alter : la voiture allemande avançant lentement, allant, venant, revenant, manifestement à la recherche de quelqu’un …
Etoile jaune que devaient porter les juifs sur leurs vêtements : je me souviens parfaitement de quelques camarades de classe qui devaient les avoir cousues sur tous leurs vêtements « de sortie », y compris leur tablier de classe. Myriam Frégonèse rend très bien la situation, en particulier dans la vive discussion entre Violaine (qui tient à la porter) et sa mère (qui s’y oppose). Discussion aussi sur la méthode : la coudre entièrement à petits points solides, ne pas l’attacher avec une épingle. Tout à fait vrai.
Très juste aussi le fait que les familles juives se cachaient au mieux : Violaine placée dans l’hôpital psychiatrique ? Les Allemands avaient peur des « fous », n’entraient pas dans l’hôpital, mais supprimaient tout moyen de survie (alimentation, vêtements, …). Je me souviens de mon amie juive Monique et de sa soeur, que leurs parents avaient inscrites dans un collège catholique, alors qu’eux-mêmes vivaient en clandestins dans la région, sans contacts avec elles mais dont ils prenaient des nouvelles. Les filles avaient appris et connaissaient parfaitement catéchisme et prières catholiques … Personne ne les connaissait, la famille s’était réfugiée dans le Massif Central quand il devenait trop dangereux de rester à Lunéville, comme la plupart des familles juives qui le pouvaient.
Les malades de l’hôpital. M.F. a l’art de nous décrire leur quotidien dans sa dure réalité de l’époque : on les avait abandonnés là, solution commode pour éviter les difficultés de leur maintien dans la famille : ils n’avaient pas droit aux tickets de rationnement … A l’hôpital, rien n’était prévu pour les occuper, pas d’animateurs, pas de sorties, pas de livres pour ceux qui savaient lire, pas de dessin possible, par manque de papier et crayons (les restrictions !!!). Alors, que faire toutes ces longues journées ? Sinon se rapprocher les uns des autres, et avoir des rapports sexuels. Une distraction banale, somme toute, décrite sobrement et humainement, avec la précision technique de la psychanalyste qu’est l’auteure. L’amour de Violaine et Alter est conté avec tout autant de respect dans sa douce tendresse et sa fin cruelle.
Le personnel de l’hôpital. On aperçoit de temps à autre une infirmière avec sa seringue, une aide dont on ne sait définir vraiment le statut, on rencontre surtout le Dr Faure. Qui est-il au juste ? Ne serait-il pas, lui aussi, marqué par la maladie ? Il me semble flou, … Comme d’autres personnages, tantôt perdus dans leurs pensées et leurs propos, tantôt capables de raisonner … Lorette, Marcel, … Sont-ils réellement malades ? Sont-ils « seulement » perturbés par le contexte de guerre sourd, omniprésent ?
Le lieu même semble flou : une ile au milieu d’un fleuve, ile Ronde, inatteignable, insaisissable, apparemment bon refuge, mais que s’y passe-t-il exactement ? En l’absence de visites du monde extérieur, on imagine, on suppute, on se pose des questions … Pas trop, ça pourrait être dangereux, pour soi, pour les autres … C’est le règne d’un régime de terreur sourde que M. F. sait très bien faire ressentir à mots et scènes choisis avec justesse, sans fioritures.
Plus net est l’atelier de couture où on fabrique des corsets. Sait-on encore, de nos jours, ce qu’est un corset ? Au temps de mon enfance, toutes les femmes portaient corset, petites filles comprises. Je me souviens des baleines qui limitaient toute liberté de mouvements, et la vive remontrance de ma mère quand elle s’est aperçue que je les avais expulsées dudit corset … Elle-même ne s’en est jamais séparée, et elle allait chez sa corsetière comme elle allait chez sa couturière … Pour nous, les filles, c’est la guerre qui nous en a libérées, c’était passé de mode avec les restrictions. Ouff ! M.F. sait nous ramener vers cette singularité de l’époque, à petites touches fleurant bon la coquetterie propre aux dames, maintenant tout naturellement une pratique féminine intouchable, en dépit des circonstances. On partage avec les clientes de l’atelier ces instants de détente et de paix aux mains des corsetières.
L’auteure a bien cerné et su rendre le climat d’incertitude, d’inquiétude, de peur latente et de privations (matérielles et de liberté) de cette période, dont j’ai ces quelques souvenirs, parmi d’autres.
Je n’ai pas de remarques sur la pagination ni la présentation, choix de l’éditeur, chez qui on sent le souci de rendre la lecture agréable et le format adapté au transport dans un sac à main …
Merci à la maison d’édition pour sa confiance et ce service presse via @simplementpro.