— Ben qu’est ce qu’il  y a Georgette ?

— Il y a, il y a…

— Ben quoi ?

— Que la maîtresse des plantes, elle m’a donné du café !

— Hein ?

— Voui du café !

— Les marcs de café ?

— Nan, le café tout pur, tout juteux, tout dégoulinant, tout noir, tout répugnant.

— Oh ma pauvre !

— Et voilà le résultat, mes sœurs, regardez : là une tache jaune, là une tache rousse, là un bébé crevé et voyez le pire.

Et Georgette retrousse un peu ses cotes et montre ses racines maintenant à découvert.

— Mais ousqu’est la bonne terre ?

— L’as fondu.

— Hein ?

— Voui le café a fait fondre la bonne terre. La bonne terre, elle est partie dans la vieille terre, tout a été mis sens dessus dessous et mes racines ont été dénudées…

Et Georgette retrousse encore plus haut ses jupons et jupes.

 — Regardez, mes gambettes sont à l’air, manquent plus que mes petons, eux ils sont encore dessous, mais tout le reste. Regardez mes sœurs, regardez !

— Un peu de pudeur, voyons Georgette. Tu nous affoles.

Alors Georgette II dit : il faut faire quelque chose.

Georgette III dit qu’elle était bien d’accord et assura qu’elle était de tout cœur avec Georgette I et II.

De loin arrivent les mugissements rauques de la vieille Georgette IV qui hurle qu’elle soutient les jeunes et que s’il faut refaire 68, elle en est.

Il paraît – selon des sources bien informées et des documents d’archives – qu’en mai 68, Georgette IV avait aidé les étudiants en poussant ses racines sous les pavés pour qu’ils puissent les attraper plus vite. C’était une guerrière, c’était une meneuse, Georgette IV et, si on l’avait dans son camp, les autres Georgettes suivraient son exemple. Et …

(Euh je m’excuse, dit le lecteur au narrateur excité et complètement embringué dans son histoire, mais tout le monde s’appelle Georgette dans votre histoire ?  – Parfaitement, dit l’auteur très mécontent de cette interruption intempestive et déplacée – Vous pourriez pas différencier ?  – J’ai donné des numéros, ça ne vous suffit pas ?? – Euh ben on va s’en accommoder, balbutie le lecteur tout tremblant – J’espère, martèle le narrateur qui veut reprendre de plus belle. Coupé derechef par une nouvelle interruption de quelqu’un-qui-sait-tout : je me suis laissé dire que la maîtresse des plantes au départ n’avait qu’une seule plante, toute menue et gentillette. Qu’elle nomma donc Georgette. Mais ce fut un casse-tête lorsqu’elle acheta une deuxième plante. Car comment la prénommer, celle-là pour que ça s’accorde avec le prénom de la première ? Et d’ailleurs était-ce une petite femelle ou un petit mâle ?  Elle n’en savait rien. Et ce fut pire lorsque la voisine du dessous décéda et lui légua, sur son lit de mort, toutes ses plantes. Et encore pire lorsque ce fut la voisine du dessus. D’autant que le problème se complexifia car allait-on appeler la plante ou le pot de la plante ? Car enfin, plusieurs plantes avaient phagocyté le même immeuble, c’est-à-dire le même pot de fleurs. La maîtresse des plantes jugea donc plus simple d’appeler Georgette tout ce qui entrait chez elle en tant que plante et de les numéroter au fur et à mesure. Quitte parfois à rajouter des bis ou des ter : ainsi il existait une Georgette XCII, une Georgette XCII bis, une Georgette XCII ter et une Georgette XCII au fond de la cour.

Le lecteur se confondit en remerciements sincères tandis que le narrateur : bon, je peux continuer oui ou non ??)

— Et comment qu’on fait alors ?

Car, pendant que se déroulait comme phylactère d’antan cette explication de texte, sous la houlette de Georgette IV, toutes les Georgettes de la II jusqu’à la CXXXIII étaient tombées d’accord pour défendre, soutenir, aider Georgette I et déstabiliser la maitresse des plantes afin que jamais pareille action ne soit recommencée, pire pérennisée.

On fit qu’on envoya les mouches, moucherons, moustiques, taons, ceratopogonidae, puces, pucerons, fourmis, punaises et autres bestioles rampantes et volantes dans le ou les paquet(s) de café de la maîtresse des plantes afin de les infecter, infester, ternir, mollir, dévaster. Plus de café chez la maîtresse des plantes, plus de café dans le pot de Georgette I.

Ce qui fut réalisé dans l’heure. Les cochenilles et asticots étant arrivés en renfort.

La maîtresse des plantes se fit donc un thé bien corsé qu’elle déversa sur Georgette I. A la place de, dit-elle.

Vite fait le thé fut éradiqué. Ce fut le tour ensuite de potages instantanés, divers jus de fruits, cidre et boissons alcoolisées.

Le résultat fut que Georgette I creva.

Les autres Georgettes en furent marries certes, mais elles en avaient un peu assez des plaintes hautement éthyliques de la défunte qui gémissait en hurlant de rire et en proférant des histoires fort cochonnes.

Par contre, ce qui les étonna au plus haut point, c’était que la maîtresse des plantes n’abreuvait que Georgette I et pas les autres… Elles étaient certaines que Georgette I étant maintenant partie, la maîtresse des plantes allait continuer ses œuvres charitables sur Georgette II etc… Mais non…Ce fut l’inénarrable Georgette IV qui découvrit le pot aux roses. En fait Georgette I s’appelait de son joli petit nom de naissance : « Coffea arabica », la maîtresse des plantes était persuadée qu’il fallait donc lui donner du café. Bon oui… peut-être, mais après ? Qu’est ce qui était passé dans la tête de la maîtresse des plantes pour lui donner des succédanés, très éloignés du café ? Euh… dit Georgette IV et elle resta coite. Et les Georgettes II et III et de V à CXXXIII en furent pour leurs frais ! Elles furent très déçues et le firent savoir, par arrosoir interposé, à Georgette IV qui perdit 4 points de notoriété ce qui la mit en déconfiture et pétard furax.

Nouvelle inspirée par une citation au début du roman Holo Ladies.