Tout est dans la nouvelle et ce serait la dénaturer que de fournir trop d’explications en amont. Juste peut-être savoir que Marcher avec les dragons de Tim Ingold lui a ouvert bien des portes.

Juste savoir aussi que pour Misia, tout étant lié, et qu’une fleur, un animal, un être humain, une chose même, un élément du corps, une étoile ont les mêmes droits, les mêmes résonnances, les mêmes besoins, il fallait bien trouver un petit nom mignon pour les appeler vite et bien.

Ce fut d’abord toutiti = tout est titi. Tout est objet de soin et d’écoute. Titi, un truc sympathique qui cuicuite, qui est léger, cristallin, qui s’envole.

Toutiti a évolué et est devenu montiti. Un poil d’appartenance là-dedans et surtout le désir de ramener auprès d’elle, en elle, toutes ces entités végétales, animales, humaines, stellaires. Non pas elle au milieu et les autres gravitant. Non. Mais avec elle.

Bien sûr, beaucoup de choses se faisant appeler montiti ne sont pas bavardes et Misia a peu de réponses. Les dialogues tournent souvent aux monologues et la conversation est brève. Mais qu’importe, Misia a besoin de communiquer, par ce petit vocable de tendresse, avec tout ce qui l’accompagne dans cette verte vie qui commence doucement à faner.

C’est suffisant…

Toutiti ou montiti ?

L’auteure est ici accompagnée d’un lecteur (que nos amies ne nous en veulent pas, nous mettons lecteur au masculin par fainéantise extrême de n’avoir pas à étudier des accords biscornus)

L’auteure provoque :

Toutiti. Qu’est-ce que c’est ? Toutiti…

Cherche, cherche…

Le lecteur émoustillé :

Euh !

Une appellation d’un galion espagnol au long cours, bordées dorées et pavillons à tête de mort. Glissant le long des vagues escarpées et franchissant caps et écueils ?

Ou le vocable d’une goélette espiègle en mal d’Inde à croquer ?

Non ?

Alors, peut-être le nom d’un long bateau portant sur son plancher de bois sapineux le bel Erik le Rouge à la barbe moussue ?

Ou celui d’une barquounette longiligne et élégante transportant un lettré baillant à la lune morose (bien que ce toutiti ne plairait guère à l’esprit aiguisé d’un poète délicat) ?

Ou simplement celui de la lourde péniche creusant son chemin d’eau dans le canal moribond ? Ah j’ y suis, c’est le rigolo bateau à aubes qui se fraie un chemin dans les roseaux du petit Rhône ?

Encore non ? Toujours non ?

Ce n’est pas du domaine naval ? Fallait le dire plus tôt !

Moi, le lecteur, je vous propose ceci : Toutiti est le nom estropié d’un ouistiti, gentil singe tout pelucheux, entre les lèvres, babil enfantin, lèvres tout aussi douces que malhabiles encore à dire, à former.

Encore non ?

Alors le nom d’un cheval allègre, d’un poney réjoui, d’une souris verte, d’une grenouille jacassante aux joues de hamster, d’un chien caramel, d’un chat à moustaches de tigre ?

Je donne ma langue au chat justement. Je vais m’énerver…

Le lecteur en sueur :

Et d’abord est-ce en un mot ?

Ou en deux plus tard collés ensemble par la faute d’un copiste complètement saoul

À prononcer tout (comme s’il y avait e) et ensuite iti.

Et là Toute Iti. Déesse de quel pays ? De quelle nation étrange et cachée dans les brumes du Pacifique. Peut-être du côté de l’île de Pâques n’est-ce pas ? Ou Madagascar. Plates formes sacrificielles.

Je m’emballe et je sors du sujet.

L’auteure narquoise :

Hihihihihi.

Le lecteur se frappe la tête de sa paluche pleine de confiture :

Bête suis-je ! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ! Bien sûr, vous rendez ici hommage, auteur malicieux, à Titi et Grosminet…

Le lecteur récite :

(Titi et Grosminet (Tweety & Sylvester) est une série d’animation américaine en 46 épisodes d’environ sept minutes, créée par Gerry Chiniquy, Robert Clampett et Friz Freleng et diffusée entre 1942 et 1964 en syndication. Merci Wikipedia)

Mais alors diantre que font ici un chat friand de zoiziaux et un pauvre volatile objet de toutes les convoitises ? Euh… et ici Grosminet a disparu. Mais Titi est resté.

L’auteure en remet une couche :

Et, dans mon langage mien et misien, sachez que beaucoup de choses sont gentiment renommées Titi. Titi, la mouche qui se décolle les moustaches après avoir gambadé dans la goutte de miel. Titi la plante qui refuse de dérouler son bébé feuille. Titi le chien imbécile qui jappe après le lapin/grandes oreilles monté sur la table de camping. Titi le coquin de pigeon qui est entré dans la chambre d’icelle parce qu’il avait froid aux pattes. Titi le mari. Titi l’enfant. Titi l’enfant de l’enfant. Titi le copain de l’enfant de l’enfant. Titi le bedon qui manifeste l’envie de bouder et de faire mal. Titi… un peu beaucoup tout ce qui bouge, a une vie, voire une âme, une volonté. Titi… un peu beaucoup tout ce qui parle, jacasse, piaule, aboie, miaule, cuicuite.

(Anecdote superflue mais qui fait bien rire l’autrice : Au paradis, ça va être coton ! Imaginez le brave Saint Pierre : « que la personne répondant au nom de Titi se lève et vienne vers nous afin que nous l’honorions (ou afin que nous la faisions descendre à coups de pieds dans le derrière) vu ses actes vertueux et sa grande sagesse ( vu la tonne de péchés mortels qu’elle se trimballe et sa grande désespérance). » Et là on va voir des cohortes de titi humains, animaux et végétaux (apparemment rien de minéral ?? tiens tiens, il faudrait étudier ce manque et le pourquoi d’une absence de titis pierreux ) se précipiter vers le pauvre St Pierre tout désemparé, tout déséquilibré. Tu es Pierre et sur cette Pierre. Ouf : se dit St Pierre, je ne suis pas titi. Et, envoyant ses copains anges faire un peu de ménage dans cette foule compacte et meuglante, il rentre au Paradis se prendre un petit remontant pour se remettre de ses frayeurs.)

Illumination du lecteur :

Alors titi c’est l’autre.

L’auteure pouffe :

Ah non, trop simple. Titi peut aussi être soi. Ben alors titi tu peux pas faire attention lorsque soi trébuche. Ou laisse tomber la serviette.

Ben t’as pourtant pas bu, titi aujourd’hui. Tu chamboules grave.

Tu ferais mieux de te coucher, c’est pas ton jour. Titi. Zou au pieu ! Tu verras demain.

Mais enfin Titi, ça va pas non ?

Le lecteur en a marre :

Euh permettez. Mais là vous avez changé sans m’en avertir. Tout à l’heure, vous parliez de Toutiti, mais sans aucune explication, vous voici maintenant dans le titi seul, sans tou. Il s’agirait de savoir ce que vous voulez !

L’auteure toujours rigolarde

C’est pareil. Toutiti. Titi..

Le lecteur épanoui, susurrant à l’oreille/corolle de l’autrice :

Ne serait-ce pas Touati ? Ce joli bar d’une grande avenue de notre ducale ville ?

L’auteure outrée :

Vous vous gaussez ? Quand vous ai-je parlé de Touati ? Je veux bien admettre une confusion certaine entre toutiti et titi mais ne dépassez pas les bornes.

Le lecteur désolé :

Je suis confus. Grandement confus.

Petit couinement (de loutre ou d’hermine neigeuse ?)

Qui chantonne : montiti, montiti.

Dans les chroniques mésopotamiennes, il y a écrit : « l’homme, la nature et le cosmos existaient dans des rapports de réciprocité, s’ajustant les uns aux autres, communiquant et se répondant. » montiti… toutiti… tout est uni, tout se tient, tout est lié, tout est montiti/toutiti…

Le lecteur perdu :

Bon faudrait savoir, Madame l’auteure. Est-ce un toutiti ou un montiti ? Car là on est dans une extrême confusion. Tout est lié certes, mais il faut que chaque chose soit à sa place et soit bien définie. Ensuite on met une cordelette entre lesdites choses et on relie. Mais si les choses se mettent les unes sur les autres (chocking) ça ne va pas, je m’insurge moi le lecteur et vais de ce pas casser la gueule à cette auteure désinvolte.

Alors ?

Devant l’auteure faussement gênée, le lecteur triomphant :

Ah vous êtes contrite ! Ennuyée, craquée, vous vous excusez de nous avoir placés en situation déficiente. Bon, pour cette fois, on veut bien mais n’y revenez pas. Donc montiti. Remarquez que cela n’éclaire guère notre chandelle et que derechef nous sommes à nouveau perplexes.

Le philosophe, chapeau pointu et pipe au bec, libre de paroles sauvages et de termes peu orthodoxes, intervient pour calmer les esprits, refroidir les cervelles surchauffées à blanc et prodiguer ses sages conseils :

Peu importe titi, montiti ou toutiti. Mais nous choisirons ici montiti pour les raisons suivantes : Montiti est chose gravissime. On ne rigole pas avec montiti. On ne se gausse pas. C’est du sérieux. Ce terme, ô combien ridicule sous sa forme, englobe affection, voire amour, gentillesse, sollicitude, protection, soin (petits et grands soins), amusement, parfois aussi reproche mais jamais appuyé ou méchant, toujours en surface, sans importance, une sorte de couverture guillerette, ce n’est pas grave, ça va passer, tu vois c’est déjà fini et le soleil revient.

Parfois aussi interrogation, un peu de volonté. Et même si un certain agacement pointe, il est vite rentré dans son étui. Montiti doit obéir à l’injonction et le montiti permet d’atténuer juste ce qu’il faut la demande expresse à laquelle personne ne doit déroger. montiti viens ici et montiti accourt. Alors montiti, qu’est-ce que tu fabriques ? J’attends, moi ! Et le toi montiti se doit de cavaler.

Le philosophe grandiloque :

Si le pigeon s’est cassé l’aile et le bec et la patte et qu’il est tout foutu, oh montiti qu’est-ce qui t’arrive ? Là le moi n’attend plus rien. Montiti est un cadavre et les cadavres ne parlent pas beaucoup, au moins dans la langue commune employée par les adeptes de montiti.

Vous me direz que quand, sur le pot, on s’exclame : mais enfin montiti tu vas faire un effort aujourd’hui, oui, ou tu dors ? le montiti reste coi. Et là deux réactions : va te faire f… ou bien : pas trop tôt montiti, tu ne te dépêches pas aujourd’hui dis donc, pas que ça à f… Finalement le dernier mot est le même… Dans ce cas, le bon sens renâclerait : pas la peine d’utiliser montiti si c’est pour aboutir au même résultat. En quoi, la réflexion ne serait pas fausse. On dira alors que montiti aurait servi de ponçage, lissage, cirage dans le sens du poil pour convaincre un bedon rétif de travailler comme il se doit.

Le philosophe agite ses larges manches :

Bref, vous l’aurez compris, le montiti s’apparente à une caresse verbale, une brise chantante et rieuse (ça doit être les deux i qui donnent cette impression) que l’on sert à toutes les sauces, tout miel et tout sucre, pour que la pilule s’avale plus facilement, pour que l’ordre devienne invitation courtoise, pour que la réprimande soit ornée de dentelle et que tout devienne plus léger, pas grave, enfantin, écume vite avalée par le sable chaud, crème chantilly gobée avant qu’elle ne fonde, garniture… c’est moins sec, ça veut rien dire, ça ne va pas loin, pas vraiment d’insinuation catégorique : je t’aime, je te veux, je te plains, non non… on reste évasif et le m s’envole, et le on disparaît, et le premier ti s’enliane et le deuxième ti s’enliane au premier et se balancent au son déliquescent d’une cascade lointaine. Quand d’une clochette de muguet ressortent le m colliné et le on coincé qui s’enlianent et d’arbre en arbre, de peuplier en chêne rouge se balancent des montiti à l’infini.

Le philosophe, à nouveau serein et calme :

Ah et j’oubliais : n’oubliez pas de planter des graines car les montiti font des petits. Et ça donne : oh petititi, quoi qu’y a qui va pas ? Le mon devenant petit par cavalcade et pirouette linguistique.

Sur ce, le philosophe salue, l’autrice lui sourit, conquise, et le lecteur, baba, « Ben montiti ! ». Cascade et roulé arrière. On revient au point de départ.

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